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La colère et l’envie – Alice Renard


J’ai eu un énorme coup de cœur pour ce premier roman d’Alice Renard, paru aux Editions Héloïse d’Ormesson, empreint de poésie et de sensibilité.

Au début du récit, Isor est une jeune fille de 13 ans, totalement mutique et hors des cadres et des normes sociales. Si rien ne sort d’elle par la parole, Isor est un volcan qui ressent son corps et ses émotions à outrance et vit le monde qui l’entoure avec une intensité hors du commun. Les ressentis sont si forts chez elle que les mots ne sont pas assez grands et que seul le silence semble pouvoir les exprimer avec justesse. Isor reste une énigme pour tous, ses parents, les médecins qui ne peuvent poser aucun diagnostic sur sa différence. La construction du récit en 3 parties distinctes nous la fait peu à peu découvrir.

Dans la 1ère partie, ses parents s’expriment en alternance, sans que ce soit un dialogue d’ailleurs, puisque leurs avis divergent quant à son éducation. Le père la considère comme attardée et vit l’existence de cette enfant atypique comme un poids, la mère cherche désespérément le lien avec elle en lui tressant les cheveux chaque jour au retour de ses fugues nocturnes mais perd totalement pieds lorsqu’elle entre en crises incompréhensibles. Tous deux sont en fait totalement démunis.

Dans la partie centrale, c’est Lucien, le voisin septuagénaire, qui nous narre sa rencontre avec Isor ; Lucien, qui cherche à oublier son passé dans une vie désormais routinière et solitaire. Ces deux êtres, en décalage avec le monde qui les entoure, vont vivre une passion amoureuse platonique unique, totalement incomprise des parents, qui va bouleverser leur existence. Au contact de Lucien, Isor va peu à peu se transformer, se révéler, s’ouvrir à la musique, aux échanges non verbaux, à la vie et déployer ses ailes pour mieux s’envoler et se libérer. Cette rencontre est une naissance pour Isor et une renaissance pour Lucien qui vont réussir à s’aimer au-delà des frontières de l’âge et du langage.

La 3e partie est un subtil mélange des lettres qu’Isor écrit à ses parents après être partie et des réflexions qu’elles leur inspirent au fur et à mesure qu’ils découvrent la vraie nature de leur fille, jusqu’alors insaisissable. Elle, qui n’a jamais prononcé une parole, invente « une langue fantôme » au vocabulaire et au phrasé étranges mais si poétiques pour exprimer ses sentiments ; les mots et les phrases deviennent soudain des rythmes et des chants d’une grande musicalité et d’une beauté immense. J’avoue avoir été totalement bouleversée par leur sincérité pure au point qu’elles m’ont parfois conduit aux larmes.

Dans ce roman inclassable, la jeune autrice fait preuve d’une exceptionnelle maturité, mais aussi d’une grande créativité et originalité de forme et de fond. Elle y aborde les thèmes de la neuro-diversité et de l’hypersensibilité avec une plume magnifique de poésie et d’émotion. Ce livre est l’histoire d’une jeune fille qui se sauve dans tous les sens du terme. Elle fugue et va à la rencontre du monde, mais surtout elle se guérit par cette fuite.

S’il ne devait y avoir qu’un mot pour caractériser ce roman, ce serait AMOUR, le vrai, au-delà de l’âge, du langage, de l’éloignement et de la différence. Alice Renard semble avoir mis beaucoup d’elle dans le personnage d’Isor qui vit tout à l’extrême, mais il semble y avoir aussi un peu d’Isor dans Alice, ne serait-ce que sa poésie et sa luminosité. Une chose est certaine : une grande romancière/poétesse est née. L’avez-vous lu ? Avez-vous été aussi séduite que moi ?


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