L’impossible retour – Amélie Nothomb
Dans son dernier livre publié aux Editions Albin Michel, Amélie NOTHOMB nous relate son voyage retour au Japon en mai 2023, lorsqu’elle accompagne une amie photographe. Elle qui a quitté à plusieurs reprises son pays d’enfance et de jeunesse et vécu « un arrachement traumatique » devient alors guide touristique.
Nous la suivons d’abord jusqu’à Kyoto, la ville aux mille temples, puis dans Tokyo, la gigantesque, où elle nous conduit dans des lieux de gastronomie et de beuverie parfois improbables. À cette occasion, elle découvrira avec un mélange d’étonnement, de crainte, de plaisirs ou d’émotions, les liens qui unissent sa mémoire et ce pays où elle est née et qu’elle chérit tant, mais que l’étrangère qu’elle est devenue a parfois du mal à se réapproprier lorsqu’elle y voyage. En inconditionnelle d’Amélie Nothomb depuis ses débuts, j’ai évidemment apprécié la lecture de ce livre. Je n’y ai cependant pas retrouvé tout l’enthousiasme ressenti à la découverte de son avant-dernier opus Psychopompe en 2023, dont j’avais aimé la profondeur et l’intimité.
Certes, il y a également ici de grands moments d’émotion : lorsqu’elle se remémore ses retours précédents au Pays du Soleil Levant, que ce soit sur les lieux de son enfance pour les retrouvailles avec sa Nounou (Avez-vous vu ce magnifique reportage de 2013 « Une vie entre deux eaux » ?), ou lorsqu’elle nous exprime sa nostalgie en revivant le retour au pays avec son père en 1989, ou encore quand elle ressent l’illumination et la transe zen du Kensho devant le Mont Fuji et l’hypnotique attirance visuelle pour une robe en soie vert jade dans un parc de Tokyo, autant d’expériences difficiles à concevoir pour les pauvres occidentaux non initiés que nous sommes.
La forme que j’apprécie chez l’autrice est également présente. L’érudition et les références littéraires (Mishima et son Pavillon d’or, L’œuvre de Zola, A rebours d’Huysmans…), son écriture si particulière et reconnaissable, ciselée, précise, débarrassée de tout superflu, allant à l’essentiel avec les mots justes qu’on dirait créés tout spécialement pour l’expression de ses pensées. L’humour aussi, l’ironie menant parfois jusqu’à l’auto-dérision (Ne ratez pas le passage de la queue aux toilettes !). Bref, la patte d’Amélie que j’aime tant !
Néanmoins, il m’a manqué un petit quelque chose, un je ne sais quoi…Peut-être aurais je tout simplement aimé que ce voyage dure plus longtemps (le livre ne fait que 158 pages), qu’Amélie soit seule pour nous emmener sur les traces de son Japon et de ses souvenirs, débarrassée d’une amie exigeante qui lui interdit toute nostalgie, et trop ancrée dans les standards touristiques pour apprécier la culture et les mœurs nippons. Finalement, le titre est plutôt lucide et l’autrice en a sans doute parfaitement conscience : il s’agissait réellement d’un impossible retour pour elle.
Dans ce récit, il me semble qu’il y a aussi l’expression de cette impossibilité inhérente à tout humain de revivre les émotions brutes de l’enfance et du passé. Elles sont inévitablement modelées, travesties par la vie qui a continué à s’écouler et par les fantasmes que l’on colle sur les souvenirs. Plus que le retour sur le lieu, c’est le retour à l’avant qui est impossible. Il n’y a souvent que des vestiges du temps passé et l’Amélie de La nostalgie heureuse ou de Stupeur et tremblements n’est qu’un fantôme et un souvenir. Rien d’étonnant à ce que ce voyage se conclue par ce terrible constat : « Tout retour est impossible, l’amour le plus absolu n’en donne pas la clef. »
Au final, ne serait-ce que pour découvrir ou redécouvrir son originalité de vie (son amour pour le champagne et ses levers quotidiens à 4 heures du matin pour écrire ne sont pas une légende, même en voyage !), cette singularité de pensée, de récit et de plume, cette sincérité aussi, je ne peux que vous conseiller d’embarquer avec Amélie ; pour ma part, je ferai encore beaucoup de voyages à ses côtés grâce à ses écrits.
« Une fois de plus, je vais quitter le Japon. Et à présent je ne peux plus accuser mes parents ou la fatalité. Je pars en adulte responsable, j’ai choisi de ne pas rester. Comment vais-je concilier une telle attitude avec l’amour infini qui me relie à ce pays ? »
👉 Poursuivez votre lecture avec ma précédente chronique : Personne n’était censé mourir pendant ces vacances de C. Mack.
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Cette analyse me donne envie d’aller lire Amélie N. à nouveau lors de cette rentrée et d’ aller retrouver ce pays de plus près que je ne le fis lors de mon voyage….
Un avis intéressant qui donne à voir. Dans ma whislist, presque 50 livres.
Joli blog et longue vie à celui-ci.